Nous sommes à l’aube de crises majeures et pour se réinventer il faut s'affranchir des anciens modèles qui ne sont plus adaptés aux défis à venir. Il faut désormais oser sortir des chemins classiques en industrie. À ce sujet, nous avons rencontré dans l'un de nos épisodes podcast Industrial Growth Anaïs Voy-Gillis, co-auteure du livre Vers la renaissance industrielle (2020) et Directrice chez June Partners.
Suivez le podcast Industrial Growth
Nous avons interrogé Anaïs Voy-Gillis en lui demandant quelles étaient les croyances sur la réindustrialisation avec lesquelles elle était en désaccord :
L'un des grands points de désaccord concerne d'une part tous ceux qui disent que "ce n’est pas possible : on ne peut pas prôner un retour à l’industrie similaire à celles des années 70 / 80 face aux nombreuses évolutions rencontrées".
"Dorénavant, il s’agit de réinventer une politique industrielle".
Beaucoup parlent d’industrie parce que c’est à la mode depuis mars 2020 et ne font pas l’effort d’aller comprendre la réalité des industriels. C’est un projet de long terme, un véritable sujet de société. Selon l'auteure, on ne pourra pas tout faire revenir en France au niveau des industries qui ont été exportées dans le monde.
En effet, il faut désormais prendre en compte l'évolution des usines et de l'industrie de manière plus générale. Il y a de nouveaux sujets stratégiques à considérer comme la santé ou la défense par exemple. Les questions environnementales prennent de plus en plus d'ampleur : comme la mise en place de circuits courts. Il est également nécessaire d'aller comprendre toutes les contraintes de ceux qui font vivre l'Industrie, à savoir celles des chefs d'entreprise et les salariés de l'industrie.
On est alors contraint de repenser complètement le modèle de production, car il dépend du nouveau modèle de société :
L’automatisation de production en France est plus poussée que dans certains autres pays et on le constate d’autant plus quand on voit qu’il y a un rapport de 1 salariés en France pour 10 en Asie. Il y a certaines personnes qui disent que face à cette réindustrialisation il faudrait se concentrer que sur les tâches de productions à haute valeur ajoutée, que ce soit en amont ou en aval de la production. C’est quelque chose qui est aujourd’hui discutable car certaines tâches ne sont pas à haute valeur ajoutée, mais tout de même considérées comme clés au sein de la chaîne de production.
Une autre chose à prendre en considération est la question environnementale qui peut justifier qu'on essaie de plus en plus de localiser à proximité des lieux de consommation selon en circuit court, en considérant ainsi l’ensemble des tâches, quelque soit leurs valeurs sur un seul et même unique territoire. Ici on essaie alors de reconstruire un écosystème productif sans conserver uniquement les tâches à haute valeur ajoutée. Il y a donc une réflexion un peu plus poussée à avoir sur les avantages comparatifs de notre écosystème par rapport aux autres pays.
Désormais, on est confronté à une question climatique très lourde qui nous oblige à repenser totalement notre manière de produire, de distribuer et de consommer.
Par exemple, on part souvent du principe qu’on va délocaliser la production pour baisser les coûts unitaires de production ou produire plus et on en revient ainsi à de la consommation de masse. Dans un cas comme celui-ci, on repositionne mal à l'économie des entreprises. Il faut dorénavant trouver de nouveaux leviers de création de valeur par exemple produire des petites séries et mettre en place un outil productif adapté à ce mode de production. En ce qui concerne la production de moyenne ou grande série, il faut complètement repenser la production, il y a une véritable réflexion stratégique à avoir ce qui est parfois plus complexe.
Alors on se demande comment repositionner l'industrie au service de la lutte contre le réchauffement climatique ?
Cela sous-entend sortir des schémas classiques, ce qui n'est pas évident parce que aujourd'hui car le marché ne récompense pas encore assez suffisamment les entreprises les plus vertueuses. Le fait d’intégrer l’impact environnemental dans son cahier des charges pour un grand groupe est synonyme de beaucoup de changements et d’investissements. Il y a un énorme gap entre ce que dit le consommateur de sa volonté d’achat et ses réalités de consommation.
L’économie circulaire doit-être le mot d’ordre de la réindustrialisation d’aujourd’hui et de demain. Comment je pense mon produit ? Est-ce que je le recycle ? Comment est-ce que je peux intégrer des matières biosourcées ? Comment je m’assure que mon produit participe à la réduction de pertes de matières ? … ce sont des questionnements que tout industriels doit se poser aujourd’hui pour répondre à la fois aux exigences du marché et environnementales.
La réindustrialisation est aujourd’hui marquée par les habitudes de consommation et la société dans laquelle nous évoluons. Il y a encore un gros travail à faire sur le plan mental de la société. On constate en B2B encore un grand nombre d’acheteurs qui considèrent que c’est le prix d’achat qui compte. Il faudrait faire raisonner dans l’esprit du consommateur l’ensemble du système de production afin que les efforts mis en place par les industries pour lutter contre le réchauffement climatique puisse être récompensé.
L’industrie joue aujourd’hui un rôle considérable dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais les responsabilités doivent être prises à tout niveau. Nous avons tendance à croire en tant que citoyens que tout vient du haut, qu’il est nécessaire qu’un ministre décide de lancement un plan pour le climat pour que l’industrie puisse intégrer des optimisations des chaines de production en faveur du climat. Or, certains secteurs souffrent plus que d’autres de la transition écologique par exemple la filière automobile qui est actuellement un sujet très discuté. Les consommateurs finaux doivent aussi intégrer cette vision pour soutenir les entreprises dans le changement.
Le client au-delà du “simple” consommateur est l’un des principaux leviers pour les industries nous a confié Anaïs Voy-Gillis.
"Il est désormais nécessaire de repenser l’expérience offerte aux clients".
En effet, aujourd’hui il est très compliqué pour les entreprises du secteur industriel de se différencier via la technologie. Les différents marchés sont toujours plus compétitifs et le marché chinois par exemple ne nous a pas attendus pour nous dépasser sur cet aspect technologique. Il faut ainsi se différencier par le biais d’autres stratégies. Pour ces raisons, le rôle de l’innovation de procédés est l’un des axes majeurs à prendre en considération en industrie. Il faut repenser à des solutions innovantes, intégrer une réflexion sur le coup investissement entre deux entreprises pour par exemple rapatrier l’approvisionnement et faire des économies d'échelle tout en offrant un produit de qualité répondant aux attentes clients.
La réflexion stratégique à avoir pour optimiser l’expérience client est un travail de longue haleine. Les entreprises doivent à la fois réaliser un travail sur toute la chaine de valeur et intégrer la notion d’impact environnemental que nous avons abordé précédemment elles souhaitent rester compétitive sur le marché.
💡Pour aller plus loin sur l'expérience client découvrez comment créer une expérience client unique dans l'industrie ?
Notre invitée Anaïs Voy-Gillis a mis en évidence lors de son intervention qu’il y a une sensibilité beaucoup plus accrue à avoir de la part des industriels par rapport aux grandes évolutions qui sont en train de se produire, et ce, notamment vis-à-vis des questions environnementales.
"Il faut faire appel à l’intelligence collective et oser sortir des chemins classiques pour faire face aux défis de la renaissance industrielle."
La réindustrialisation doit pousser les entreprises à faire évoluer leurs modèles économiques avec l’intégration à la fois de l’expérience client et de l’économie circulaire dans leurs procédés de fabrication. Il faut que les industriels changent leurs visions et leurs process parfois ancrés depuis un certain nombre d’années pour faire face aux défis de demain. Les discussions sur les procédés doivent être ainsi tournées vers de véritables moyens de transformations des procédés de production plutôt que de simples intentions. Aujourd’hui, le rôle de l’entreprise industrielle dans la société doit faire partie de sa véritable raison d’être et faire sens face à un modèle économique de plus en plus complexifié.